Soeur Marie Dupont

Soeur Marie Dupont

Le témoignage d'une journaliste

Pour ma part, tout avait commencé par un regard… venu d’ailleurs. Un ailleurs que je croyais connaître : on m’y avait promenée dans mon enfance, traînée dans mon adolescence sans que j’aie mon mot à dire. J’avais fini par l’accepter comme un lieu de promenade le dimanche matin. C’était un ailleurs où je m’ennuyais. Il y régnait un Dieu aux allures de Père Fouettard. Un Dieu inaccessible que j’avais fini par craindre.


C’était il y a vingt-cinq ans, mais ce regard ne m’a jamais quittée : un regard bleu qui s’était planté dans mes yeux comme deux traits de feu. J’étais au monastère de Currière en Chartreuse, accompagnée d’une autre journaliste. Nous devions rencontrer Sœur Marie Dupont, prieure des moniales de Bethléem, pour une interview. L’affaire n’était pas gagnée… nous arrivions d’un autre monastère où les sœurs nous avaient gentiment expliqué : « Notre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Si vous ne comprenez pas notre silence, vous ne comprendrez pas nos paroles »… cela commençait assez mal pour une émission de radio !


Je me souviens encore de son entrée et de ma surprise : j’avais en tête l’image dure des Mères générales de couvents que l’on voit dans certains films avec leur air sévère drapé dans de grands voiles noirs et je vis arriver une femme d’une réelle beauté qui, elle aussi, venait d’ailleurs… une femme du désert. Sur son visage, une humanité qui ne dissimulait pas l’exigence d’une vie. J’étais impressionnée, incapable de dire un mot, encore moins de poser la moindre question, tout juste bonne à appuyer sur la touche « enregistrement » de mon vieux Nagra. Mon amie journaliste, apparemment moins émue, une fois passées les présentations et les explications d’usage, enchaînait les questions. L’histoire dira qu’elle fut touchée en plein cœur : cinq ans plus tard, elle est entrée au monastère !


Toutes contentes, nous sommes reparties avec du « son ». J’ai tout oublié de cet entretien sauf qu’il s’agissait de silence, de désert, de contemplation et cette petite phrase : « Bethléem, c’est une promenade dans l’impossible. » Moi ce qui me semblait alors impossible, c’était cette vie de silence et de solitude, enfouie dans la prière, loin du monde. J’y avais échappé… deux mois plus tard, je me suis mariée !


Je n’ai jamais oublié le regard de Sœur Marie Dupont jusqu’à ce jour, pas si lointain, où j’ai enfin compris ce qu’il m’avait peut-être signifié. Ce regard cachait un mystère. Mystère de sa vie sur laquelle elle avait levé un petit coin du voile, mystère d’un amour dont elle vivait et qui venait de m’être révélé sans que j’en prenne toute la mesure. Ce Dieu-Amour allait remplacer le Père Fouettard de mon enfance et, un jour, emporter ma propre sœur.


Comment pouvais-je le savoir ?